Méthodologie
de l'enquête
La rédaction du questionnaire
Christophe
Lejeune
Cette page a fait partie des supports des
travaux pratiques du cours de méthodologie des sciences sociales jusqu'en 2004. Ces notes (deuxième partie) sont conservées ici car elles se sont avérées utiles à d'autres personnes que les étudiants qui ont suivi ce cours.
Ici, on vise un questionnaire d'administration
indirecte en face à face.
1. Avant toute chose, un brainstorming
en équipe
- Nous avons fait un entretien,
dont il convient de retranscrire les 20 premières minutes, tous les
membres de l'équipe le lisent et l'analysent. Ensuite on se réunit et on en
discute : qu'est ce que notre informateur nous a appris : sur le
sujet en général (factuellement), sur sa perception du sujet, sur des phénomènes
causaux, des explications, des problèmes liés au thème, sur nos hypothèses,
comment a-t-il réagit à nos relances sur tel ou tel thème (étonné, vexé, décontenancé,
content que l'on en parle,...). Rédaction d'un compte-rendu par un rapporteur
de cette réunion d'analyse (à inclure très succinctement dans le rapport final
mais surtout utile à la rédaction du questionnaire)
- Re-préciser le thème (à
quoi on s'intéresse, par exemple, « les ovnis ») précis (« la
représentation des phénomènes aériens non expliqués chez les plus de 40 ans »)
- Les questions que l'on
se pose (par exemple, la compréhension ou la description du phénomène des
apparitions nocturnes ou l'influence sur ce phénomène de tel ou tel facteur
d'âge, de catégorie socio-professionnelle)
- Ce que l'on veut mesurer (un fait,
une représentation de, une opinion sur, une attitude, un vécu),
- Comment on peut le mesurer (il
faut parfois ruser ou choisir des indicateurs indirects [attention
à ne prendre que des indicateurs du premier degré, pas de chaîne séquentielle
impossible à interpréter])
2. Rédaction du questionnaire
Je vous propose de réaliser
un questionnaire d'une vingtaine d'items sur votre sujet spécifique et
d'une quinzaine sur l'identité de la personne (statut socioprofessionel
/ données socio-démographiques). Variez les types de questions afin de
montrer que vous maîtrisez les differentes techniques (binaires ou non, choix
dans une liste, classement, échelle de propositions attudinales).
Poser des questions univoques (lever les ambiguïtés).
Langage clair, précis mais
pas technique (n'oubliez pas que vous aller rencontrer des personnes de tous
les milieux socioculturels ; les mots transcendance -concept philosopique-
ainsi qu'habitus -concept sociologique- ou systémique -concept psychologique-
sont interdits). Pas de phrase ou de question alambiquée ou trop longue.
Désirabilité sociale (« Êtes-vous
sympa ? » est une question inutile)
Question neutre ; pas
de « c'est bien non ? » mais « que pensez-vous de ? »
Problème de la mémoire (« qu'avez
vous fait l'année dernière à la même heure ? »). Il est souvent intéressant de recontextualiser
plutôt que de demander ce que les gens font en général (ce dernier type de question
risque générer des réponses en termes de désirabilité sociales, non en termes
de pratiques effectives mais plutôt en termes de pratiques perçues comme normales).
« Rappelez-vous, quel forme avait le dernier OVNI que vous ayez vu ? »
plutôt que « Quelle forme ont les OVNI ? »
Évitez toute négation (simple
ou double) (ça trouble)
Évitez les « ou »
(« vous pensez que x ou que y ») qui concatènent 2 questions en une.
Structurer le questionnaire :
- on commence à propos du thème
mais en évitant les questions douloureuses, trop personnelles, délicates (argent,
sexualité, hors-la-loi).
- Les questions plus techniques,
plus difficiles arrivent à la moitié (attention à la formulation ; ce
serait dommage de perdre des répondants en si bon chemin) ; cf. engagement
en y.
- On termine
par des questions simples, comme le profil socio-professionnel
(attention au salaire) [attention que les données personnelles sont inutiles
ici, vu que l'on exploitera les réponses de manière quantitative]
Regrouper les propositions
attitudinales ensemble lorsque c'est possible.
Le flou des catégories est
parfois plus sûr (pratiques sexuelles, âge, salaire,
niveau de formation)
[ce serait dommage que le répondant "triche" ou ne vous réponde
pas]
Se rappeler les effets de halos,
surtout s'il y a plusieurs modalités.
Prévoir des modalités neutres (en
espérant qu'elles ne concernent pas trop de répondant : « sans avis »
ou « pas concerné »). [NB : l'orphelin ne déclare pas la profession
de ses parents]
Les réponses ouvertes sont pour la
plupart inexploitables (importance de la préparation, du pré-test et de consulter
les gens qui vous encadrent)
Prévoir précisément les modalités de réponse (et varier les types, afin de
nous montrer que vous maitrisez les spécificités de chacunes d'entre
elles) :
- binaires (oui-non)
- Listes que l'on ne lit pas, dans
lesquelles l'enquêteur coche les réponses données spontanément
par le répondant
- Listes dans lesquelles il faut
choisir (et que l'on présente au répondant)
- Listes dont il faut classer les
items
- Échelles
Échelle
attitudinale
- Pas de question mais des phrases
(ou "propositions") à propos desquelles on demande au repondant
d'exprimer son avis
- Des échelles symétriques, avec
autant de "pour" que de "contre", de positif que de négatif
(4 ou 6 cases)
- Pas de valeur centrale, dans
lesquelles beaucoup pourraient se réfugier
Exemple : « les aliens
sont nos amis » Vous êtes :
1_Pas du tout d'accord |
2_plutot pas d'accord |
3_plutot d'accord |
4_tout à fait d'accord |
Lorsque vous utilisez des échelles
de ce type, je vous suggère de rassembler toutes les questions (ou plus
exactement, toutes les propositions) concernées par une évaluation
(ou attitude) en termes d'accord et de faire précéder celles-ci d'une
instruction du type :
" Je vais vous citer un ensemble de phrases qui concernent X ; pour
chacune de ces phrases, vous me direz si vous êtes tout à fait d'accord, plutôt
d'accord, plutôt pas d'accord ou pas du tout d'accord "
Afin d'etre cohérent avec cette instruction, les phrases se doivent d'être
des affirmations (donc, pas de questions), il faut en enlever les pondérations
du type "selon vous" ou "à votre avis" et éviter (absolument) les négations.
Échelle
de mesure : fréquence, durée, quantité, qualité
On rencontre souvent des échelles du type suivant dans les ébauches de questionnaires :
Jamais |
Rarement |
Souvent |
Toujours |
Néanmoins, il est loin d'être sûr que cette échelle soit symétrique (4 adverbes
différents).
Pour construire une échelle de fréquence, il existe plusieurs solutions :
- Échelle dite subjective
C'est l'évaluation du répondant que l'on cherche à
récolter, mais on n'est absolument pas informé de la correspondance
de ce vécu avec une tempralité qui lui serait externe.
Tout à fait fréquemment |
Plutôt fréquemment |
Plutôt pas fréquemment |
Pas du tout fréquemment |
Le principe est donc simple et se calque sur celui utilisé dans les échelles
d'attitude. Aux quatre adverbes quantificateurs, on adjoint un adjectif exprimant
ce que l'on demande au répondant d'évaluer : la fréquence (fréquent); la quantité
(nombreux); la qualité (bon); la durée (long);...etc...
- Échelle dite « objective
»
Ici, on impose une temporalité externe à notre informateur,
mais on ne récolte aucune information sur ce qu'il pense de cette fréquénce
(cette manière de poser les question ne permet pas de répondre
à "est-ce que rencontrer les vénusiens une fois par mois,
c'est fréquent ou pas, c'est peu ou beaucoup").
Plus d'une fois par an |
Plus d'une fois par trimestre |
Plus d'une fois par mois |
Plus d'une fois par semaine |
(cette échelle fonctionne également
avec un autre chiffre que 1, avec « moins de » à la place de « plus de » ou
des périodes plus longues ou plus courtes selon l'objet que l'on étudie).
- Dans la même lignée
que ces échelles objectives, une troisième méthode, moins
ambitieuse mais peut-être plus sûre, consiste à demander
au répondant de se remémorer la dernière semaine écoulée
(ou le dernier mois) et de l'intérroger sur ses dernières pratiques
effectives. Ce type de question part du principe que fournir un jugement synthétique
et global sur de longues périodes est très difficille. En outre,
ce type de réponses demande au répondant de produire un calcul
du même type que la moyenne statistique afin de répondre de manière
correcte (au fond cette troisième méthode part d'une critique
de la seconde, qui serait toujours soumise à la première :
l'évaluation de la fréquence subjective conditionnant nécessairement
la réponse dite objective).
Bien évidemment, certains rétorquent que cette manière
de procéder est plus faillible (la semaine dernière est elle
vraiment "représentative" des habitudes de l'acteur rencontré?).
Mais cette méthode à l'avantage d'objectiver ces actes, et force
le répondant à la précision (évacuation des évaluations
"à la louche", et même, dans une certaine mesure, de
réponses marquées par la désirabilité sociale
ou la volonté de donner une image de soi-meme qui ne correspond pas
necessairement aux pratiques effectives).
Statuts
Les questions relatives au statut viennent en fin de
questionnaires. Il faut distinguer :
- L'occupation : étudiant
/ employé / ouvrier / cadre / indépendant / pensionné
/ sans_emploi /
- La branche ou le secteur d'activité :
menuiserie, informatique, paramédical, enseignement, horéca,...
- Le plus haut diplôme obtenu
(par la personne / son père / sa mère) : primaire / secondaire
inférieur / secondaire supérieur / supérieur non universitaire
/
- Revenu (de la personne ou du ménage
/ brut ou net / total ou partie allouée à une dépense
particulière) :
utilisez des catégories (tranches de revenu) pour cette donnée
délicate...!
Ces différents éléments
sont tous des indicateurs pertients. Demander toutes ces informations dans le
même questionnaire est trop lourd pour l'exercice proposé ici.
il convient donc de choisir celui qui semble le plus adapté au sujet
abordé.
3. Pré-test
Lorsque le questionnaire semble bon,
qu'il a été amplement critiqué et corrigé, que votre groupe à connu deux scissions
et autant de réconciliations, vous êtes prêts à tester ce questionnaire ;
choisissez des personnes qui se sentiront concernées, qui joueront le jeux et
qui seront critiques (évitez vos camarades de classes, qui font sans doute les
mêmes erreurs que vous suite au conseils mal formulés du répétiteur (moi, évidemment) ;
ainsi que les personnes que vous rencontrerez pour l'enquête proprement dites).
Grâce à un chrono, vous pourrez
vous rendre compte de la durée de passation (ce sera utile pour la planification
de la passation). Un bon questionnaire fait quelques pages (pas de thèse, merci)
et dure Œ heures (non aux discours).
Dans le pré-test, figurent des champs
ouverts (« autres ») pour chaque question afin que l'on puisse
enrichir le questionnaire de réponses « non prévues ».
4. Préparation de la passation
Relisez la page sur les entretiens,
vous y trouverez des petits trucs pratiques qu'il est toujours bon de se rememorer.
Le matériel :
- une farde rigide à pince,
- un sac (pour abriter vos questionnaires ;
la Belgique connaît un climat tempéré, souvent pluvieux),
- minimum 2 crayons taillés (faire
des tests ; le crayon doit être lisible, assez foncé pour être relu,
vous devez pouvoir l'utiliser pour écrire un commentaire dans la marge). Le
crayon écrit sous la pluie (contrairement au bic, qui ne reconnaît pas le
papier humide) et ne transforme pas le questionnaire en aquarelle (contrairement
au stylo).
Le cadre : comme pour
les entretiens, éviter les perturbations : pas dans un bureau ou un endroit
trop bruyant, éviter la proximité d'un téléphone, la personne doit être disponible.
Soyez serein, habillement et attitude
neutre (ne choquez pas par excès d'élégance ou de négligence), bien dans
votre peau. On a le temps, on est pas speed, tout va bien, on fait le vide,
on se calme (il est cependant interdit de fumer un pétard ou de se siffler un
whisky avant de faire passer un questionnaire)
Aborder. Présenter l'enquête
à l'avance.
- Si on le fait par téléphone, il
est bon de parler du sujet (c'est sur les avions, la santé) sans préciser
plus (sinon la personne se renseigne, en parle avec sa concierge, ce qui biaise
l'enquête) (cf. point 1).
- Si on le fait en rue, ou au porte
à porte, préparer une seule phrase (même longue, disant tout), car la personne
répondra dès que vous reprendrez votre souffle.
On n'est pas de la police ;
on ne cherche à rien vendre, on est étudiant (ça rassure) préparant un
travail pour l'ulg (ça rassure et garantit un certain sérieux)
Votre avis nous intéresse, il n'y
a pas de mauvaises ou de bonnes réponses (pas de dichotomie, quoi, pour parler
compliqué), toutes les réponses sont bonnes.
5 Passation
- Soyons polis et aimables
- Sans trop sourire (on ne drague
pas pendant un questionnaire et on ne se moque de personne).
- On ne laisse jamais transparaître
notre avis sur la question
- On est toujours content de la
réponse donnée (vous n'êtes pas là pour donner des conseils civiques, pratiques,...)
- Quand c'est fin, on remercie « Bonne
journée ».
Bon travail !