La mobilité socio-technique
Etude de la construction a-parallèle de collectifs humains et techniques (2/5)

Christophe Lejeune
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Un symbole ?

La fonction du petit appareil - dont la visibilité est souvent en proportion inverse de la taille - est la communication. On peut toutefois se demander qui sont les destinataires du message envoyé. On ne compte plus en effet les exemples de personnes utilisant ostensiblement des combinés qui, lorsqu'une situation d'urgence en sollicite l'usage, se révèlent être de simples boîtiers vides. Pareils comportements nous informent sur la valorisation d'un objet qui était jusqu'il y a peu réservé aux professions managériales ou indépendantes.

D'autres personnes manifestent une stratégie de distinction ou de dénonciation tout à fait symétrique : le GSM symbolise, pour eux, soit le monde du profit, soit une possibilité supplémentaire de contrôle social (non seulement il sonne à n'importe quel moment mais, en outre, il peut être localisé rapidement), soit enfin un objet dit de frime (comme la décapotable ou les lunettes de soleil au mois de février).

Risques des interfaces

L'antenne du combiné portable émet des ondes comparables à celles du four micro-ondes avec comme conséquence un réchauffement des cellules du cerveau.

Pour limiter ce rayonnement, plusieurs stratégies, s'offre à l'utilisateur. La plus radicale - et la plus efficace - consiste à limiter l'usage du petit appareil, surtout dans les endroits fermés (voiture, immeuble en béton, cave,...) car le petit émetteur doit alors utiliser sa puissance maximale dans son "dialogue" avec l'antenne relais la plus proche.

Il est aussi possible d'utiliser une antenne externe - celles-ci sont courantes pour l'usage en voiture mais encore très peu répandues dans les autres habitacles - ou un kit main libre (il s'agit d'un berceau, d'un casque externe, ou d'une fonctionnalité intégrée d'origine dans le combiné); ces dispositifs permettent de s'éloigner de l'émetteur des dangereuses ondes.

On peut aussi limiter ce risque à l'achat en choisissant un modèle qui oriente son émission vers l'extérieur de l'appareil (c'est par exemple un des arguments de la marque Hagenuk).

Enfin, on voit l'éclosion d'autres dispositifs, comme TellyTM, par exemple, un petit manchon isolant l'antenne, créant ainsi une zone de moindre émission autour de la tête.

Risques des antennes macrocellulaires

Précisons tout d'abord le vocabulaire utilisé dans ce point : les protagonistes définissent le champ d'application de leur controverse (problématisation), ils tentent d'intéresser des actants (ce terme générique désigne les "entités" - personnes, documents, idées,... - qui pourraient leur donner "du poids" et ainsi induire une différence dans le "déroulement des opérations"). Si cet intéressement réussit (une personne se joint au projet, un document est découvert pouvant appuyer leur thèse,...), on parle d'enrôlement. Ces alliés pourront dès lors être mobilisés. (Callon 1986)

L'enrôlement n'est pas à sens unique. Notons cependant que, malgré cette remarque, la réticence des membres du comité face au vocable "enrôlement" qui induit une certaine "passivité" du côté du nouvel entrant (Discussion du 26 mai 95 avec le comité).  Teslabel (voir ci-dessous) fournira de la documentation technique au comité... et commencera à s'intéresser au problème GSM (leurs préoccupations gravitaient jusque là autour des affaires des lignes à hautes tensions et des ondes électromagnétiques). On peut parler dans ce cas de "double capture".

Tout commence le 2 avril 1996, lorsque madame P trouve dans sa boite à lettre une enquête publique concernant la construction d'un shelter et d'une antenne-relais Mobistar dans un institut voisin. Elle se rend alors chez ses voisins, madame et monsieur D, sensibles aux problèmes écologiques. Le technicien qui avait équipé le domicile des époux D de biorupteurs leur explique que ce projet est inacceptable. Seuls, madame P et monsieur D savent qu'ils ne peuvent rien.

Pour qu'il y ait un effet, il est important qu'il y ait une sensibilisation de tout le public environnant. (Entretien du 30 mars 98 avec monsieur D)

Ils intéressent un maximum de monde à cette affaire; en moins de deux semaines, une pétition (18 signatures) est réalisée et remise à l'hôtel de ville le 18 avril. Le même jour, madame P informe la presse des événements.

On a aussi très vite sensibilisé la presse en disant : « Nous ne pouvons pas... Si nous voulons faire du travail intéressant, il faut que se soit répandu sur la place publique » parce qu'on savait que ça serait vécu par d'autres. (Entretien du 30 mars 98 avec monsieur D)

Au mois de mai, madame P est hospitalisée, mais les voisins continuent le combat (Lettre de madame P du 22 mai 98). Monsieur J constitue un dossier. Le 2 juin, le comité prend contact avec un avocat - un ami des époux M. Durant sa convalescence du mois de juin, Madame P prend contact par téléphone avec un professeur d'université (le professeur D'), qui lui donne les coordonnées de deux représentants de Teslabel, une association de défense et de réflexion sur la problématique des champs magnétiques. Le 15 juin, un premier tract d'information est distribué dans les boîtes à lettre du quartier. Ce tract ainsi que le dossier de monsieur J intéressera d'autres voisins - directement concernés - et, parmi eux, un professeur et un technicien (contradicteur momentané), tous deux spécialistes en radiocommunication. A cette période commence l'envoi systématique de lettres au fonctionnaire délégué, à ses supérieurs, aux mandataires politiques locaux et régionaux, aux cabinets des ministres Lebrun (aménagement du territoire) et Taminiaux (action sociale, logement et santé).

Outre l'information fournie par ses membres ou ses alliés, le comité va s'informer auprès d'un technicien, d'un cancérologue, de la publicité (pour savoir qui est Mobistar), d'un Centre d'Education et de Formation à l'Ecologie, du fonctionnaire délégué (à propos du dossier). La procédure est dans ce type d'affaire inverse à la normale : le collège échevinal donne son avis au fonctionnaire délégué qui prend la décision. On note ici sans peine la variété de domaine auxquels le problème touche : scientifique, écologique, juridique, technique, politique, médical, économique...

Dès cette période, le comité prend contact avec les responsables de l'institut dont le site doit accueillir le pylône pour l'informer des nuisances associées à ce type d'installation.

Lorsque, le 28 juin, une séance publique d'information est organisée, la presse locale est invitée.

Pendant les semaines qui suivent le comité se réuni de manière récurrente et poursuit par courrier son action sur tous les responsables. La population est tenue au courant de l'évolution de la situation par la distribution d'imprimés (le 21 juillet et le 8 octobre).

Entre le 20 et le 27 août, Mobistar fait parvenir au président du conseil d'administration de l'institut et au comité un rapport technique qui se veut très explicitement rassurant.

Ce document technique montre clairement la conformité de la station de base de Namur et plus généralement, de toute station de base du réseau GSM, aux normes d'exposition aux champs électromagnétiques existantes.

On notera que jusque là Mobistar refusait l'obtention du dossier technique.

Votre lettre ne pose aucune question si ce n'est votre demande d'obtenir tout le dossier technique. Vous comprendrez aisément que nous ne pouvons répondre positivement à cette requête étant donné qu'il s'agit d'informations confidentielles mais nous nous tenons à votre disposition pour vous présenter en nos bureaux l'une ou l'autre pièce du dossier. (Lettre du 24/6/96 de Mobistar à Madame P)

Le comité atteint son nombre de membres maximum le 29 janvier 1997, date à laquelle il se réunit chez monsieur D pour un souper festif. L'action ne se limite donc pas au conflit contre Mobistar, elle est l'occasion de se rencontrer ou de mieux se connaître.

Le 28 mars 1997 arrive cette lettre du ministre Willy Taminiaux : Faisant suite à nos différents échanges de courriers relatifs à l'implantation d'un pylône "Mobistar" sur le site de S., j'ai le plaisir de porter à votre connaissance que la S.A. Mobistar me confirme, par lettre du 07 mars, qu'elle renonce à cette implantation. (Lettre du 28 mars 1997 du ministre Willy Taminiaux)

On l'a vu, nos acteurs attribuent une certaine efficacité au corps politique mais, a l'heure actuelle, ils ne peuvent localiser ceux des intéressements (consignés ci-dessus) qui ont réussi ou non. Donc,

la prudence voudrait qu'on agisse à tous les niveaux; pas se satisfaire d'agir sur le fonctionnaire délégué, par exemple, parce qu'on a appris (on suivait quand même dossier)'il l'avait renvoyé à son supérieur en disant : « Moi, je ne mouille pas là dedans; ça devient trop épineux. » directeur général. (Entretien du 30 mars 98 avec monsieur D)

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